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Les Romans de Tyo

Les Romans de Tyo
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14 janvier 2011

Le Signe de Kadhâ

Prologue

 

La journée s’achevait suffocante… Le soleil avait surchauffé les toits de la ville de Vhéda et transformé l’atmosphère de ses ruelles en une étuve aux senteurs intolérables. En cette été 1318, cela faisait un mois qu’il n’était plus tombé la moindre goutte d’eau sur ce petit royaume enclavé comme un carcan de mystère entre deux puissants voisins dont il subissait les pulsations. A l’est, s’étendait la plaine de Volonie dont les marais faisaient antichambre aux principautés russes… A l’ouest, trônait la grande Pologne où s’ouvrait la porte de la culture occidentale. Au sud, la barrière des Carpates se devinait par ses dentelures estompées par la brume…Mais le Pic des Ténèbres qui, au bout de la route poudreuse barrait l’horizon, témoignait que l’on n’était pas loin du massif montagneux et de ses passes dangereuses.
Il fallait être fou ou avoir la foi pour braver, en cet après-midi, la fournaise et la poussière du chemin menant vers la silhouette du pic menaçant.
La foi, ils l’avaient doublement ces hommes gris constituant la petite troupe qui faisait mouvement en murmurant de temps à autre, à travers leurs lèvres assoiffées, quelques litanies aussitôt étouffées dans la poussière qui collait à tout en uniformisant couleurs et identités. Il y avait là une vingtaine d’hommes… Des moines, plus précisément, qui escortaient un lourd chariot tiré par quatre chevaux robustes. Point d’apparat, la bure des moines était grise autant que les tentures qui masquaient l’intérieur du chariot l’étaient de poussière.
L’un des hommes perdit une sandale et s’arrêta pour la récupérer. Mais, s’étant retourné, il se figea à la vue de l’horizon dont lui et ses compagnons n’avaient pas remarqué la noirceur, faute de lui tourner le dos. Il poussa un cri et désigna aux autres la barre opaque qui masquait déjà le ciel aux deux tiers.
- Un orage ! s’écria-t-il
- Oui, et il s’annonce terrible ! surenchérit son compagnon
L’homme qui menait les chevaux par la bride s’étant arrêté, ceux-ci en firent autant et en grinçant sur ses essieux, le chariot s’immobilisa. Une voix étouffée demanda :
- Que se passe-t-il ? Pourquoi s’arrête-t-on ?
Un moine s’approcha de la portière et, écartant la tenture dans un
soulèvement de poussière, lança en direction de l’intérieur :
- Un orage, Votre Grandeur ! Il sera sur nous dans moins d’une heure !
- Raison de plus pour presser le pas ! ordonna la voix.
Un fouet claqua, les chevaux s’ébranlèrent à nouveau et on doubla l’allure. Mais, dès cet instant, les moines se retournaient sans cesse comme s’ils craignaient que le diable, qui allait bientôt déchaîner sa foudre, n’apparaisse en personne du haut de la nuée infernale.

 

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- On aurait dû rester à Vhéda et l’on pourrait même regagner la ville
à temps ! bougonna l’un des moines qui fermait la marche.
- Revenir en arrière ? Il n’acceptera pas, il est bien trop pressé
d’arriver là-haut ! Répliqua son plus proche compagnon.
- Je ne comprends pas… Quitter la place privilégiée qu’il occupait
auprès de la Fondation de l’Ordre pour venir remplir le rôle ingrat d’Abbé en ce monastère inachevé ! marmonna-t-il en désignant avec dédain la pointe du Pic des Ténèbres.
- Je me suis laissé dire… (l’ autre moine s’interrompit et tendant le cou s’assura qu’aucune oreille indiscrète ne lui prêtait attention)… que certains faits mystérieux auraient contribué au non achèvement de ce monastère…
On raconte même qu’il est établi sur les vestiges d’un château dont
le propriétaire était le diable en personne.
- Ah ! s’exclama l’autre. Remplacer le diable par la paix divine me paraît apaisant !
- Oui ! Pour autant que le diable ait quitté les lieux et là…
Des exclamations parties de l’avant interrompirent ces confidences.
A la courbure du chemin une troupe de moines attendaient et de l’intérieur du chariot, "sa Grandeur" se fit expliquer la raison de ce joyeux tumulte.
- Ceux du monastère sont venus à notre rencontre, Votre Grandeur et nous allons avoir besoin d’eux pour trouver abri car l’orage est sur nous.
Donnant raison à ces dires, un grondement lointain roula d’échos en échos tandis que le vent souleva la poussière et fit bruisser les feuillages.
Les deux groupes avaient fait jonction et un moine plus âgé se détacha des nouveaux venus et s’approcha du chariot.
- Je suis Frère Benoît et je dirige l’intendance au monastère du Pic des Ténèbres… Au nom de sa communauté, je vous souhaite la bienvenue, Votre Grandeur!...
La lourde tenture, qui faisait fonction de portière latérale au chariot, fut écartée par une main osseuse tandis qu’une voix ferme répliquait :
- Je vous attendais, Frère Benoît… Montez, je vous prie !...
Frère Benoît courba la tête et se glissa à l’intérieur… Deux banquettes recouvertes de velours pourpre se faisaient face. Celui que tous appelaient "Votre Grandeur" occupait l’une d’elles. L’homme était de grande taille. Il avait le front dégarni, la peau parcheminée et le regard d’acier. Ses lèvres fines et serrées ne devaient pas avoir l’habitude du sourire. Il invita le nouvel arrivant à prendre place en face de lui.
- Veuillez excuser, Frère Benoît, la pénombre de ce lieu d’accueil, mais la lumière du soleil m’est insoutenable depuis quelques années.

 

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- C’est dans l’ombre que naissent les réflexions de valeur… susurra Frère Benoît qui dû se tenir à la banquette car le chariot avait refait mouvement.
- Nous ne pourrons monter là-haut tant que cet orage n’aura point
vidé ses mannes…Il y a, non loin devant, une ferme dont le toit offrira une protection contre la fureur céleste.
L’Abbé, (donnons lui son nouveau titre) eut un mouvement de contrariété…
- J’aurais espéré être au monastère avant la nuit.
- Avant ou pendant, cela ne tardera guère. J’ai fait apporter une chaise à porteurs et le reste du groupe nous attend à la métairie
- Ne croyez-vous pas que tout ce déploiement n’attire l’attention de l’autre. J’avais pourtant insisté pour que mon arrivée passe inaperçue.
Elle le sera Votre Grandeur, le monastère est vaste et la troupe se dispersera avant ses contreforts. De plus, ajouta-t-il rassurant, la nuit nous sera propice.
Les premières gouttes de pluie entachaient la poussière sur le sol lorsque, la troupe pénétra dans la cour de la métairie. Guidé par les moines le chariot s’engouffra dans une vaste grange, mais l’Abbé n’en descendit point. Il se fit apporter une chandelle et servir une collation qu’il partagea avec Frère Benoît. Alors, tandis que la bourrasque éparpillait sa foudre sur la campagne échevelée, le nouvel abbé tenait sa première audience au pied du pic portant le monastère, qu’il avait pour charge,de réformer et de remettre dans la ligne des lois de l’Eglise de Dieu garant humain.
L’abbé s’essuya les lèvres, et après une pause de réflexions, appuya
Sur une question :
- Cela fait quatre ans que les travaux du monastère ont débuté.
Quatre ans ! Un de trop ! L’œuvre devrait être couronnée en ce moment par la pointe de l’église abbatiale et, d’après ce que j’en sais, il n’y a toujours en son centre qu’un trou d’où sort une carcasse métallique tordue comme un chêne foudroyé.
- Ce n’est pas un trou, Votre Grandeur, mais un gouffre qu’il nous faut
combler et dont nous n’avons pu, jusqu’à ce jour, extraire l’ossature de métal qui y est enracinée. Nous devons composer avec elle et l’inclure dans les fondations de l’église.
- Ne croyez-vous pas plutôt Frère Benoît, qu’une présence maléfique trouble en ces lieux l’esprit de vos bâtisseurs, au point d’endormir leur foi et leur ouvrage.
- Nous ne nous sommes, jusqu’à présent, octroyé aucun répit et, à ma connaissance, aucune manifestation du Malin n’a troublé la bonne marche de nos aspirations.
- Je ne veux pas parler du Malin mais, de sa créature que vous appelez "Tyo", je pense, et dont la nature humaine, selon les rapports que je possède, me paraît très contestable.

 

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- Tyo !... Mystérieuse créature, je vous l’accorde, mais, sans elle, bien des problèmes n’auraient trouvé leur solution et ce n’est pas d’un an, mais de deux ou de trois, que nous serions en retard.
- Naïve confiance, Frère Benoît, une femme dans un monastère c’est en dehors de toute logique. De plus, une créature qui a le visage d’une femme pour se faire accepter et qui se mêle de surcroît de bâtir la maison de Dieu, sur des connaissances qui vous dépassent, voilà qui est singulier et, faute de preuves, diabolique.
- Le diable serait toujours dans les fondations du château du Pic des Ténèbres si Tyo ne l’en avait chassé.
- Vous avez vécu la chose ?
- Non, je l’ai lu dans les rapports consignés là-haut dans la bibliothèque et, ceux qui aurait pu m’en parler de vive voix, ont été transférés en d’autres monastères sur la volonté des hautes instances de l’Ordre. Pouvez-vous m’en expliquer la raison ?
- Les Hautes Instances avaient leurs raisons surtout en ces temps troubles, où l’Eglise se cherche une nouvelle entité difficile à établir suite aux divisions dont elle a été le siège. L’Abbé enchaîna :
- Que disent là-haut ces rapports ?... L’essentiel, je vous prie.
Frère Benoît fronça les sourcils en rassemblant dans sa mémoire les faits qu’il avait lus et relus et, estimant le résumé suffisamment clair, il l’exposa :
- Cela remonte il y a cinq ans… Le château du Pic des Ténèbres abritait un seigneur froid, aux décisions implacables, qui se faisait appeler le Prince des Lumières, et avait pris une telle ascendance sur le monarque du Royaume de Vhéda qu’il l’avait relégué dans un château de ses basses terres… En ce temps là, un orage éclatait tous les soirs au-dessus du Pic des Ténèbres et la foudre était avalée par des orifices percés à la base même du prétentieux donjon. Vers où allait ce feu de Satan ? A qui était-il destiné ? Nul ne chercha à le savoir car tous dans le château vivaient dans la terreur lorsque la nuit ramenait l’orage.
C’est alors que Tyo fit son apparition. Selon les rapports et les rumeurs sur lesquelles ils reposent, cette femme prétendait venir de l’immensité du ciel où scintillent les étoiles et, avoir été créée à l’image de la femme pour vivre parmi les hommes et y accomplir une mission.
- Mais, c’est une hérétique ! Et elle aurait dû être brûlée comme telle ! s’ exclama l’Abbé.
- Certains y ont pensé mais, le feu qui sortait des yeux de Tyo était plus brûlant que le leur et ils se rendirent compte qu’ils pouvaient l’utiliser pour anéantir l’influence du Prince des Lumières, quitte à se débarrasser d’elle après. Elle vint au château, rencontra le P rince des Lumières mais nul ne sut ce qu’ils se dirent. Un soir, profitant de l’absence du Prince, Tyo descendit dans les souterrains, découvrit la puissance maléfique qui l’habitait et réussit à l’anéantir.
- L’anéantir ?... Quelles armes a-t-elle donc employées pour vaincre la puissance du diable

 

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- La ruse ! Les propres armes du diable, Votre Grandeur : la ruse et la foudre qui, s’acharnant en cette nuit historique sur le cœur du donjon, le fit éclater mettant à jour cette carcasse de métal, dernier vestige, désormais mort, de la puissance que nul, à part Tyo, n’a jamais pu définir.
- Selon mes rapports à moi, elle aurait également perdu la vie dans cette exploit et permis aux moines de découvrir qu’elle n’était qu’un être artificiel au squelette de métal, ne possédant ni chair ni sang. Le Tribunal d’Inquisition aurait voulu la brûler, mais un homme nommé Grégoire et un moine : Frère Adrien auraient volé son corps pour l’emporter vers quelques destination inconnue. Et voilà qu’on la retrouve là-haut, bien « vivante » cette fois !
- C’est un mystère Votre Grandeur. Le rapport dit qu’elle a été se faire réparer parmi les étoiles pour nous revenir et nous assister dans la construction de l’Abbaye.
- Belle naïveté ! Morte on la condamne a être brûlée et vivante on plie le genoux devant elle.
- Les rapports font état, et le présent nous le prouve, d’une très grande bonté qui se dégage de cette femme.
- Fabriquée ou non, on ne peut rien lui reprocher qui ne soit dans la ligne de charité qui préside à nos actes.
- Que fait-elle là-haut en ce moment ?
- Elle s’instruit, elle assimile avec une rapidité déconcertante tous les écrits de la bibliothèque et principalement tout ce qui a trait aux civilisations des barbares de l’est, des mongols et des tartares en particulier.
L’ Abbé s’étrangla entre deux bouchées.
- Les tartares ? Les mongols ? Mais ce sont des infidèles, des hérétiques, qui au seuil de nos frontières menacent nos civilisations ! Est-ce pour les combattre qu’elle assimile leurs connaissances, ou pour mieux composer un jour avec eux ? Et se signant, il ajouta :
- Il était temps que l’on m’envoie en ces lieux.
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Chapitre 1

 

 

Tyo jeta un regard contrarié vers le ciel. Cela faisait une heure que cet orage avait refermé son étau autour du Pic des Ténèbres et elle n’avait pas perdu une seconde de son développement. Perchée au point le plus haut de ce qui avait été jadis la couronne intérieure des fortifications du puissant château médiéval, elle devinait à l’horizon la ville de Vhéda qui s’effaçait peu à peu sous les trombes d’eau déferlant sur la campagne et dont les premières gouttes martelaient à présent les toits des dépendances du château. A ses pieds, vers l’intérieur, là où s’élevait jadis l’agressif donjon, c’était un trou béant au centre duquel une armature métallique, noircie par l’oxydation, pointait sa désolation vers le ciel en furie.

- Cet orage est bien l’œuvre de la nature! J’en ai douté à tort… pensa-t-elle

Cela faisait cinq ans déjà que Tyo avait établi son domaine dans la partie est des vestiges du château du Pic des Ténèbres. Celle-ci était restée quasi inchangée depuis son arrivée. A l’inverse du reste de l’imposant ouvrage, que les moines, réhabilités par la disparition du Prince des Lumières, avaient décidé de transformer en abbaye. Audacieux projet nécessitant la destruction de certaines fortifications dont les créneaux avaient fait place à un enchevêtrement de toits… Le problème était central : en explosant sous les coups répétés de la foudre le donjon s’était disloqué jusqu’au plus profond de ses fondations. Il avait fallu extraire des tonnes de déblais pour dégager le fond de la crypte où était enracinée l’aiguille de métal autour de laquelle le donjon protecteur avait été bâti…

Tyo se glissa à l’intérieur d’une tour de veille qui coupait le chemin de ronde. C’est de cet endroit même qu’elle avait vécu le premier des orages qui, chaque nuit inlassablement, frappaient le Pic mystérieux. C’était de cet endroit même qu’elle avait découvert que la foudre glissait le long du donjon pour disparaître, à sa base dans de profonds puits menant à une mystérieuse présence qui s’était dévoilée en tentant de s’emparer de sa volonté. Elle avait perçu la chose et celle-ci, dès cet instant, avait vu en elle une ennemie. Malgré les avertissements du Prince des Lumières, elle s’était enfoncée dans les souterrains pour découvrir ce que ceux qui l’avaient créée lui avaient caché. Sous les Pics des Ténèbres vivaient jadis une intelligence créée pour obliger les hommes à se détruire… Tyo avait pris le parti des hommes et détruit la chose.

 

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Tyo se souvenait de cet instant où, dans une lueur aveuglante tout avait explosé et où le néant l’avait envahie... La suite se perdait dans la brume des souvenirs, jusqu’au moment où Tyo, emmenée par sa navette puis prise en charge par les robots de la Citadelle Spatiale, s’était vue remise à neuf et était redevenue une androïde opérationnelle. Oui, Tyo était une mécanique intelligente créée par des êtres qu’elle n’avait jamais vus , ( les Suprêmes Lumières) pour une mission sur la planète terre. Un androïde ?... Osons féminiser le mot et dire une androïde car, Tyo avait pris figure humaine en copiant l’image d’une jeune fille, qu’elle avait sauvée de la mort, en se donnant une sœur jumelle. Tyo, n’était qu’une mécanique avec un défaut de fabrication : sa logique de sensibilité avait son neutre mal accordé et elle prenait toutes ses décisions dans le doute en agissant comme une sensibilité féminine l’eut fait à la place d’un robot impeccablement programmé. En mettant sa "vie " en péril pour aider ces humains qui ne pouvaient la comprendre et, pire, la rejetaient, elle s’était attachée à eux en se cherchant une identité identique à la leur. Elle avait espéré, en coupant les ponts avec ses origines, devenir l’une de leurs semblables, mais ces cinq années écoulées n’avaient fait qu’accentuer la différence. ..Tyo était certes respectée et tolérée par ces moines, qui lui devaient leur liberté, mais le mystère qui entourait ses origines ne s’accordait pas avec les dogmes de leur foi et la complaisance, dont on l’entourait, était ténue comme un fil prêt à se rompre. Tyo était seule et condamnée, pour mieux comprendre ces humains, à chercher dans leurs écrits la base de leurs comportements.

La foudre frappa, toute proche et Tyo l’entendit rouler en grondant sur le versant opposé du Pic des Ténèbres. Soudain, dominant le bruit décroissant du tonnerre, un sifflement s’amplifia. Tyo le localisa : cela venait du fond du gouffre au pied de l’armure métallique dont les moines n’avaient pu se débarrasser. Elle s’approcha du parapet du chemin de ronde et plongea du regard vers le trou béant. Il y avait là une lueur qui se déplaçait sur le fond de ce qui avait été jadis la crypte abritant la chose. L’androïde décida de faire passer sur la lentille de ses yeux caméra les filtres analytiques lui permettant de voir par rayonnement la structure des matières qui l’entourait. Elle n’en eut pas le temps ...Dans un déchirement d’apocalypse, la foudre passa à deux pas d’elle et se précipita vers le fond du puits. Il y eut une explosion terrible et Tyo vit les échafaudages des moines si patiemment assemblés s’élever comme des fétus de paille, puis retomber en s’embrasant. Quelques murs se disloquèrent et, dans le silence revenu, une odeur d’ozone se mêlant à la fumée âcre parvint aux palpeurs olfactifs de Tyo. Mais, par-dessus toutes ses impressions, un fait marquant l’étonna d’emblée : le sifflement avait cessé !... Par contre, le martelage de la pluie s’amplifia et les trombes d’eau s’abattirent sur les constructions du monastère, refoulant l’androïde à l’abri de la tour de guet.

- L’explosion était trop forte, il y a trop d’ozone dans l’air pour que ce soit uniquement la foudre, se murmura-t-elle.

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L’orage s’était éloigné aussi rapidement qu’il avait été violent. Au pied du Pic des Ténèbres, le convoi des moines avait quitté la métairie et refait mouvement sur le chemin qui s’élevait de plus en plus. La brume, issue de l’évaporation de l’eau, flottait en nappes opaques créant des auréoles autour des torches des moines. A un certain moment, le convoi s’arrêta. On ne pouvait monter plus haut avec le lourd chariot et l’Abbé fut invité à en descendre pour prendre place dans une chaise à porteurs, que quatre paires de bras vigoureux soulevèrent aussitôt. Frère Benoît marchait à deux pas de la portière et répondait avec une complaisance affectée aux questions qui lui étaient posées de l’ intérieur.
- Vous dites qu’elle habite là-haut avec sa sœur jumelle ? Mais vous parlez très peu de cette dernière, remarqua l’Abbé.
- Ambre est une jeune fille très éveillée et relativement impétueuse, de plus en plus coquette de surcroît, mais d’après le chapelain qui a en charge les âmes laïques des dépendances de l’ancien château, elle dit ses prières, participe au culte et se confesse régulièrement.
- Confesse régulièrement ce qu’elle veut bien dire, grogna l’Abbé car, elle doit en savoir beaucoup sur sa << sœur >> qui, je n’en doute pas, la tient sous sa domination.
- Oh, ce n’est pas évident, Tyo se fait beaucoup de soucis pour Ambre et ne reçoit pas toujours de la tendresse en retour. En fait, on dirait que Tyo protège Ambre de quelque danger qui nous est inconnu en l’obligeant à rester cloîtrée dans les anciennes dépendances du château du Pic des Ténèbres.
- Pensez-vous que ce danger aie trait à un secret qu’elles détiennent toutes deux en jouant l’indifférence ?
- Ambre n’en a jamais parlé dans ses confessions, quant à Tyo, elle ne se confesse jamais. Mais au contraire, ne se prive pas de vous mettre dans l’embarras en sortant de votre âme les petites fautes que vous y gardez cachées…
- Vous voulez dire qu’elle devine les péchés que les autres ont commis ?
- Mieux ! Dès que vous vous trouvez à sa portée, elle lit dans vos pensées… Il y a une vérité qui m’a étonnée et que l’on pourrait rattacher à la magie, voire même la sorcellerie : Ambre et Tyo sont arrivées au château du Pic des Ténèbres avec une ressemblance physique totale : l’une était la reflet de l’autre. En cinq ans le visage d’Ambre a pris sa maturité de femme tandis que celui de Tyo n’a subit aucune modification depuis le premier jour ou je l’ai vue !
- Vous voulez dire, s’exclama l’Abbé, qu’elle n’a pas vieilli !...
- Pas d’une ride, elle semble encore à ce jour, sortir de la fraîcheur de l’adolescence et le timbre de sa voix est resté aussi clair sans s’affermir par la mue.
- Une jeune fille qui ne vieillit pas ! Et vous doutez encore de ses pouvoirs occultes, s’exclama l’Abbé ! Mais vous êtes donc tous sous son charme !
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9

Tyo avait rejoint quelques moines qui inspectaient le fond du puits et relevaient les échafaudages disloqués.
- Les dégâts sont importants, demanda-t-elle ?
- Relativement, s’écria l’un des moines. Des murs sont tombés et sans la pluie, tous les échafaudages et leurs étais de soutien se seraient embrasés. Si au moins cette maudite carcasse de métal indestructible avait été détruite, la foudre nous aurait rendu un grand service.
Tyo sourit en elle-même. Elle avait le pouvoir de disloquer la matière et aurait pu désintégrer molécules par molécules la pyramide qui pointait vers le ciel mais, dès le premier jour de son retour, elle avait estimé que ce témoin du passé prêterait à la réflexion pour l’avenir. Un moine qui réajustait un échafaudage poussa un cri :
D’où provient cette forme déchiquetée ? On dirait du métal et cependant, c’est plus souple. Tyo s’approcha et s’empara du débris que le moine tenait en ses mains. D’un côté c’était une grande surface plane, plutôt lisse, de l’autre des pliures auxquelles s’accrochaient de petites boîtes transparentes, ne se rattachaient à aucun élément connu en ce monastère. Tyo, se penchant sur le sol découvrit d’autres débris de même nature et des traces de métal fondu. Elle utilisa ses filtres optiques et analysa les matières. Certaines étaient inconnues sur la terre, il n’y avait pas de doute : la foudre avait frappé quelque chose qui se trouvait là à l’insu de tous, c’était cet objet qui, en se déplaçant, émettait probablement le sifflement qu’elle avait entendu et la lueur qu’elle avait perçue.

Tyo chercha un point d’impact et n’en trouva pas. Ce n’était donc pas cet objet qui était tombé du ciel en ayant pu s’identifier à la foudre. Non, il était là au fond et il avait attiré la foudre qui l’avait sûrement frappé à ses dépends. A première vue, cela ne devait pas être trop volumineux et à coups sûr d’une structuration dont elle n’avait aucun schéma enregistré dans ses mémoires. Ce ne pouvait être non plus un véhicule de déplacement temporel comme celui qu’elle utilisait parfois pour voyager dans le temps.
Ce n’était pas  le Prince des Lumières qui était revenu car l’on eu trouvé son corps disloqué. Aucun signal d’un élément d’androïde ne lui parvenait de l’enchevêtrement des échafaudages…
Elle glissa quelques fragments du mystérieux objet dans sa tunique puis, par des échelles réajustées et ensuite par les escaliers des dépendances, regagna ses appartements où Ambre l’attendait inquiète.
- Où étais-tu passée ? Il faut toujours que tu ailles te promener sous l’orage ? Qu’est-ce qui te fascines donc ainsi ?
- La lumière des éclairs et le mystère du tonnerre, répliqua Tyo mais, cette fois la foudre n’était pas seule. Et sortant les fragments de son pourpoint, elle les tendit à Ambre.
- Qu’est-ce, on dirait des déchets de verre ?
- C’est beaucoup plus léger et d’une matière inconnue sur la terre répliqua Tyo.
- Inconnue sur la Terre, comment expliques-tu cela ?
- Il y avait ce soir quelque chose qui se déplaçait dans les constructions au fond de la crypte. Mais quoi ? Ou qui cherchait-on …les souvenirs ou moi ? Je dois savoir c’est impératif.
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Tyo abandonna Ambre à sa toilette du soir et gagna la tour d’angle qu’elle s’était réservée pour s’isoler de la communauté humaine et d’Ambre, son amie, qu’elle ne pouvait en exclure. La tour lui offrait une pièce circulaire d’un diamètre de huit mètres et, par les trois fenêtres qui y étaient percées un poste d’observation privilégié. Par celle de droite, elle embrasait tout le paysage vers le couchant et la ville de Vhéda. Par celle de gauche, elle détaillait tout ce qui entrait au château et son regard pouvait porter loin sur le chemin d’accès. Entre les deux, la troisième donnait sur l’horizon boisé au milieu duquel la tache plus claire de la Plaine des Ronces, lui offrait une rassurante présence : celle de son aéronef, fidèle coursier, en attente dans l’invisibilité du temps et qu’elle pouvait ramener sur une simple demande des programmes de sa volonté.
Elle était retournée à diverses reprises dans la Plaine des Ronces et avait obligé l’aéronef de métal à se matérialiser dans le temps présent, s’offrant ainsi la possibilité de dialoguer par l’appareillage de bord avec les Suprêmes Lumières, à qui elle devait d’exister. Mais depuis l’instant où, cinq ans auparavant, elle avait rompu le contact, ses géniteurs lumineux étaient restés muets .Ceux qui l’avaient créée l’avait abandonnée, selon son souhait, au destin des humains auxquels elle avait commis la faute de vouloir s’identifier…
Beaucoup de choses avaient changés en cinq ans et, Ambre en particulier. La jeune fille qu’elle avait jadis sauvé de la mort et dont elle avait copié les traits, pour mieux se mêler à la foule des humains, avait mûri et était devenue une ravissante jeune femme instruite comme une princesse mais, impétueuse comme une amazone. Tyo avait beaucoup de peine à contenir le flot d’énergie de son amie qui ne demandait qu’a s’épancher en toutes circonstances et, dans un domaine qui lui échappait à elle androïde, la sensualité.
Ambre, comme toute femme rêvait d’amour et de partage… Un homme viendrait un jour et Tyo perdrait toute influence sur sa protégée. Elle examina la paume de sa main gauche et le signe mystérieux qui y était tatoué.
- Sans ce maudit signe de Kadha, murmura-t-elle, je ne serais pas là à trembler pour l’avenir d’Ambre. Je dois prendre une décision et pourtant une prémonition m’incite à retarder cette échéance. Pourquoi le Prince des Lumières n’est-il jamais revenu ? Pourquoi dois-je être seule à décider du destin des autres ?
Elle retraversa les deux pièces de l’appartement sans jeter un regard à Ambre qui se lissait les cheveux et se préparait pour la nuit. Celle-ci l’interpella au passage :
- Tu sors à nouveau ?
- Oui, je vais dans la bibliothèque. La nuit, elle est déserte et nul ne me pose des questions sur ce que j’y cherche.
_ Et qu’y cherches-tu donc depuis si longtemps ?
_ Ton avenir.
- Mon avenir ? Il est écrit là-haut dans les étoiles s’écria Ambre en éclatant de rire et en pointant l’index vers le ciel.
- Et bien, crois moi, j’en viens et je n’y ai rien vu d’écrit en ce qui te concerne ! Par contre je te réserve une surprise pour bientôt. Dès que j’aurai complété l’élémentaire des notions nécessaires à lui donner une fin heureuse.
Et plantant là Ambre décontenancée, Tyo sortit dans les couloirs et dévala la succession d’escaliers menant à la jonction qui reliait la partie laïque du monastère à l’essentiel des bâtiments restructurés par les moines.
Elle croisa peu de monde dans les couloirs, la plupart des hommes d’église avaient gagné le puits central où, faisant la chaîne, ils évacuaient à l’aide de seaux les séquelles du déluge qui avaient inondé les fondations de ce qui devait être un jour l’église abbatiale. Les travaux avaient effectivement traînés et leur échec trouvait sa source dans les dissensions internes des conceptions techniques et philosophiques dont les moines responsables entouraient l’ouvrage.

 

11

Plusieurs abbés ou des moines faisant fonction d’abbé s’étaient succédés à la tête de la communauté du Pic des Ténèbres. Certains parmi les plus érudits avaient été rappelés au siège de la Fondation pour faire rapport et aucun n’était revenu. Pas même frère Adrien, dans lequel Tyo avait toujours trouvé un ami précieux et un confident sûr. La communauté vivait sans tête et seules les lois bien structurées de cet univers monacal lui conféraient un fonctionnement régulier. Mais il y avait un malaise : ces hommes attendaient quelque chose, quelqu’un… et une méfiance grandissante s’infiltrait dans leurs rapports. Méfiance dont elle faisait les frais car, l’un voulait se faire d’elle une alliée afin de connaître ce que pensait l’autre. ..Chacun savait que Tyo lisait volontiers dans les dans les pensées et, tous lui enviaient ce pouvoir.

Lorsqu’elle passa devant la loge du gardien des portes de la bibliothèque, celui-ci ne releva même pas les yeux, il l’avait déjà aperçue tant de fois qu’elle faisait partie du mobilier de l’endroit. Tyo pénétra dans une vaste salle où étaient disposés des lutrins abandonnés comme des sentinelles muettes puis, elle gagna l’un deux un peu à l’écart près d’une fenêtre et retrouva le livre qu’elle y avait laissé le matin même. Il était indéchiffrable pour la plupart des moines car, écrit en langue chinoise. Il traitait de l’empire de Gengis Khan et de l’administration des territoires chinois que le Khan des Mongols avaient soumis à son joug implacable. Tyo y cherchait des indices, comme elle l’avait fait dans d’autres livres, qui lui permettraient de mieux comprendre l’historique du signe qu’elle portait gravé dans sa main gauche et qu’une vieille Tartare avait identtifié sous le non du signe de Kadha.
Elle parcourut les lignes d’idéogrammes cherchant a en extraire la clarté d’une synthèse et de la comparer avec tout ce qu’elle avait déjà mémorisé en elle. Son vrai problème était cette mémorisation. Tyo agissait comme un ordinateur et si la capacité de ses mémoires était grande, elle ne lui permettait plus d’y introduire des données supplémentaires sans en effacer ce qui lui semblait superflu. Une série de pages de l’ouvrage dans lequel elle plongeait son regard inquisiteur avait retenu particulièrement son attention. Elles parlaient d’un signe mystérieux que nul ne pouvait effacer et grâce auquel un homme exceptionnel réunifierait un jour l’empire des Tartares pour l’étendre sur le Monde. Ce qui frappa Tyo, c’est que dans ce livre, autant que dans les autres, on ne parlait jamais de femmes et aucun texte ne leur conférait la moindre puissance.
Il n’en était pas de même dans les livres qui parlaient des dynastes chinoises où les impératrices avaient régné parfois despotiquement sur leur peuple. C’était étrange et particulier mais, un fait commun les unissait tous : khans, empereurs ou impératrices avaient toujours bâti leurs empires sur des meurtres et les avaient élargis sur des invasions et des massacres.
Elle se redressa soudain angoissée. Que faisait-elle en ces lieux et en quoi cette aventure humaine la regardait-elle. Hormis la tare qu’elle affichait de leur ressembler, du moins en apparence, elle n’avait rien de commun avec ces créatures terrestres qui excusaient la fragilité de leur constitution par la prétendue immoralité de leur âme.
Leur âme, voilà bien la seule chose qu’elle leur enviait sans pouvoir l’écraser d’une supériorité personnelle en la matière, ne pouvant définir si oui ou non elle possédait en elle pareille présence spirituelle. Les écrits des moines ne lui avaient rien appris de plus sur ce sujet, la vérité était là-haut dans le froid sidéral de l’espace, au milieu des galaxies sur lesquelles règnent ses géniteurs qu’elle ne pouvait plus désormais interroger, faute d’en avoir détruit les moyens.

 

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- Allons, se murmura-t-elle, si les Suprêmes Lumières m’ont créée supérieures aux humains, elles doivent, à mon insu, m’avoir dotée d’une âme plus efficace que la leur.
Cette conviction l’ayant momentanément rassurée elle chassa le doute qui tentait à nouveau de s’emparer d’elle pour porter son attention, au-delà de l’embrasure de la fenêtre, sur le paysage nocturne et la lumière inaccoutumée qui s’y déplaçait…
- Cela provient du chemin ! Qui donc monte au monastère a cette heure ? Mais regardant plus attentivement…Suis-je distraite le chemin est de l’autre côté , cette lueur se promène au-dessus des falaises !
Les logiques de Tyo s’activèrent à la vitesse de l’éclair … Aucun humain n’était capable d’une telle prouesse et ne possédait la machine pour la réaliser. L’origine de ce phénomène n’était pas des possibilités terrestres. Tyo sursauta.
- Serait-il revenu ? Rôderait-il, comme j’en ai l’intuition autour de ce qui fut son palais ? Je dois le savoir ! .
Glissant à travers la bibliothèque, elle gagna le couloir menant au chemin de ronde. Lorsqu’elle s’y arrêta, sous le manteau glacé de la nuit, la lumière luisait immobile dans le vide.

Tyo s’appuya sur le rebord d’un créneau et de son regard analytique tenta de dissocier les éléments du phénomène. A première vue c’était un halo lumineux dont un point d’un blanc intense marquait le foyer. Mais, en poussant l’analyse elle discernait, derrière ce phénomène éblouissant, une mécanique qui était à coup sûr la source d’émission de la lumière. L’objet n’était pas bien grand : elle aurait pu en faire le tour de ses bras. Le corps central ressemblait à une boule aplatie : quatre petits bras disposés en diagonales, portaient à leur extrémité des rectificateurs d’assiette et sous la masse centrale, ce qu’elle devinait de l’appareillage qui y était accolé, devait servir à la sustentation et aux déplacements qui utilisait le principe d’un champs de répulsion électromagnétique.
Soudain un rayon jaillit de l’objet et frôlant en saccades la dentelure des créneaux, s’en vint frapper Tyo à l’épaule. Elle sentit une paralysie soudaine gagner ses fonctions de mobilité. Dans un effort surdosé elle se jeta à l’abri du parapet du mur de ronde. Le rayon la cherchait et nul doute que l’objet allait contourner l’écran de pierre que sa lumière ne pouvait traverser… Tyo s’encouru à quatre pattes le long du masque du mur, puis, dans un ultime effort, elle se précipita dans la tour de guet voisine et, prudemment, glissa son regard vers l’extérieur. Pour vaincre de son rayon les zones inaccessibles, l’objet se déplaça au dessus du chemin de ronde, puis contourna la tour comme un chasseur qui sent le gibier terré et attend que celui-ci de peur, quitte sa tanière. Tyo ne bougea point et mieux mit tous ses circuits en veilleuse. L’autre avait-il compris qu’il perdait son temps, voire même que ses intentions avaient été perçues ? Tyo ne pouvait le définir, mais elle constata que l’objet s’éloignait du Pic des Ténèbres et que le sifflement accompagnant sa progression s’effaçait dans la nuit. Elle risqua un pas au-dehors et scruta la nuit opaque avec ses intensificateurs de luminosité… Hormis le scintillement des étoiles et quelques feux lointains le long des remparts de la ville de Vhéda, aucune lueur parasite ne troublait le manteau de la nuit qui s’était refermé sur le mystère du Pic des Ténèbres.

 

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Le danger effacé, Tyo pouvait avec calme extraire de ses mémoires l’enregistrement du fait étrange qu’elle venait de vivre. Elle séparait chaque élément de cette étrange affaire et le comparait avec les données s’y rapportant le plus et qu’elle extrayait de ses banques de données.  Mais en celles-ci rien ne se rapportait à l’objet qu’elle avait vu se déplacer et encore moins au rayon qui l’avait frappée si ce n’est un fait particulier qui la ramenait cinq ans en arrière, quand la chose avait voulu s’emparer de son esprit. Ici c’était sa force motrice que l’on avait tenté de paralyser mais, ce n’était peut-être qu’une prémisse… Le mystérieux rayon, après l’avoir privée de ses facultés d’action, aurait très bien pu annihiler entièrement sa volonté. Ce n’était qu’une supposition, mais ses logiques la lui dictaient comme une certitude. Elle fut tirée de ses pensées par un hennissement de cheval. Quelqu’un montait au château par le chemin d’accès et ses yeux, aux facultés nocturnes incomparables, eurent tôt fait de distinguer la troupe étirée qui sortait du couvert des derniers sapins et, visiblement à bout de souffle, fournissait un dernier effort pour vaincre l’escarpement rocheux et les fortifications extérieures de l’ouvrage. C’était la chaise à porteur qui l’intriguait le plus. Les moines qui le soutenait marquèrent un temps d’arrêt, l’un deux ayant trébuché, puis, pesamment, reprirent leur ascension. Un moine marchait à côté…Elles reconnu en lui, le responsable de l’intendance du monastère… qui, se penchant, murmurait de temps à autre, à l’adresse d’un inconnu invisible derrière des tentures, des paroles qu’elle ne pouvait percevoir. Ce nouvel arrivant devait être un bien important personnage pour qu’il lui parla avec autant de courbettes affectées.
- Nouvel arrivant, nouveaux ennuis… Qui donc cela peut-il bien être ? et elle se dirigea vers les escaliers d’accès aux remparts et, confondue dans la nuit gagna un autre point d’observation d’où elle pouvait voir la cour intérieure sur laquelle donnait la porte d’entrée que tout visiteur devait franchir pour pénétrer dans ce nid d’aigle.

Le temps passait et nul ne se présentait. Aucun des gardes endormis sur leurs bancs ne releva la tête et Tyo du se rendre à l’évidence : les arrivants avaient dû pénétrer par l’un des poternes du mur des fortifications extérieures et se confondre dans les méandres du château et plus vraisemblablement dans la partie qui s’appelait désormais  le monastère ;.
Elle eut une impression désagréable C’était comme si la présence maléfique dont elle avait épuré la crypte réinvestissait le château en prenant une autre forme … Une certitude : cette nuit l’esprit du mal s’était manifesté à son encontre sur la chemin de ronde sous l’aspect d’une lumière et à présent, il se glissait dans le monastère sous une apparence humaine
Elle pensa que les moines, qui étaient rentrés trempés par l’orage et fourbus par leur escalade nocturne, s’étaient retirés dans leurs loges et qu’elle n’apprendrait rien de plus ce soir. Elle regagna donc l’appartement où Ambre dormait profondément et se glissant dans la tourelle dont elle avait fait son domaine ; elle s’y assit dans un fauteuil de bois, relâcha tous les champs magnétique de ses moteurs d’action, ferma sur ses yeux ses paupières synthétiques, vérifia les unes après les autres les protections d’accès à ses fichiers mémoires puis, programma sa réactivation aux lueurs de l’aube et se déconnecta en période de repos.
La brume protectrice génératrice de rêve enveloppa peu à peu le château, mais, Tyo ne subit pas son charme, car le rêve est un état de l’âme et Tyo avait beau fouiller les modules de sa structure, elle n’y avait jamais trouvé un qui portait ce nom.

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Chapitre2


Comme dans tout lendemains d’orage le brouillard mit longtemps à se dissiper et quand le château du Pic des Ténèbres, perché sur son aiguille escarpée, s’en dégagea il dominait une mer de nuages qui lui cachait le petit royaume de Vhéda.
Les toits commençaient à peine à sécher sous le soleil montant lorsque Tyo laissant Ambre aux complexités de sa toilette matinale, se présenta comme à l’accoutumée à la porte de la salle de lecture de la bibliothèque monacale. A l’intérieur au lieu de quelques moines disséminés devant leur lutrin, elle découvrit un groupe compact qui entourait respectueusement un homme d’une cinquantaine dont le regard froid scrutait chacun des moines qui répondait à ses questions. Frère Benoît qu’elle avait vu la veille à côté de la chaise à porteurs, était là et, il fit taire les chuchotements qui s’étaient élevés à son entrée.
L’inconnu lui murmura quelques mots à voix basse et tandis que d’un geste impératif il dispersait les moines, Frère Benoît invita Tyo à le rejoindre.
- Approchez donc Tyo, que je vous présente.
Tyo rejoignit les deux hommes qui étaient restés seuls mais elle sentait le regard oblique des moines fixés sur elle.
- Frère Maximus après un long voyage nous est arrivé cette nuit du siège de la congrégation, pour assumer le très honorable et très responsable titre d’Abbé en ce monastère qui ne serait ce qu’il est à ce jour sans votre intervention .
Tyo fit un geste évasif de la main et salua discrètement le nouvel abbé. Celui-ci se crut obligé de surenchérir.
- On m’a vanté vos mérites d’une manière si inattendue que j’ai peine à croire à la véracité de tout ce que je connais sur vous !
- Ah , et que connaissez-vous sur moi ?
- Beaucoup et …pas assez.
- Dites moi ce que vous savez ? Et interrogez moi sur ce que vous voulez connaître.
- J’ai lu dans un rapport inquisitoire que vous avez déclaré venir d’au- delà des étoiles dont la nuit orne son firmament.
- Je ne sais pas d’où je viens. C’est ceux qui m’ont créé , qui vivent aussi loin. Je me suis réveillée un jour dans la banlieue de la planète Terre en connaissant tout sur elle sans l’avoir visitée.
- Et ceux qui vous ont créée, les avez-vous jamais rencontrés ?
- Non, seule leur voix me parle. Je les appelle les Suprêmes Lumières.
- Il n’y a qu’une suprême lumière : l’esprit divin.
- Je n’ai pas dit que les miennes étaient divines mais, elles existent, j’en témoigne.
-.J’ai lu également que vous n’avez pas caché être un produit artificiel de la nature, vous n’êtes pas de chair et cependant on s’y laisserait prendre !
- L’esprit seul compte par sa pensée et ses décisions. Que l’on soit fait de chair ou de composants modulaires, c’est par nos actes que notre existence prend sa valeur.
- Pourchasser le diable est une bien belle chose mais, utiliser ses armes n’est-ce pas s’identifier à lui ?
- J’ignore où vous désirez en venir mais, vous avez déjà une opinion bien établie et on vous envoie en ce monastère avec une mission bien précise.

 

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- Je suis venu remettre les choses de Dieu dans le droit chemin. Vous prétendez avoir chassé le Malin ? Mais en cet endroit, je le sens cependant encore très présent. Et puis – il se fit brutal – la présence d’une femme en ce lieu saint ne se justifie point !
- Pourquoi donc n’y aurait- il pas de femme dans un monastère, alors qu’il y en avait dans le château jadis et, que c’est dans une aile intacte de l’ancien château que ma sœur Ambre et moi vivons à distance et en paix avec vos moines.
- Ce partage est interdit dans nos lois communautaires,il n’y aura bientôt plus d’ancien château car le monastère doit s’agrandir et son église s’achever. Nos dirigeants ont décidés de faire de ce lieu retiré un noviciat où de jeunes âmes pourront s’épanouir dans les lois et la paix du Seigneur sans qu’aucune présence néfaste ne leur trouble l’esprit ou ne les dévie de leur mission.
- Si je n’avais pas dévié un jour de la mienne, une puissance contre laquelle vous n’auriez pu lutter serait toujours sous vos pieds.
- Qui me dit que le sourire que vous affichez n’est pas une autre manière utilisée par cette puissance pour vaincre là où elle a échoué.
- Raisonnement humain issu d’une réflexion encore instable. Mais je ne vous en porte point grief et je laisse le doute en vous. Peu m’importe ce que vous pensez les choses sont ce q’uelles sont et, je n’ai point agit par intérêt pour votre communauté mais telle que ma logique me le dictait.
- Eh bien ma logique à moi me dicte de vous demander de quitter les lieux au plus vite et, d’emmener avec vous cette fillette que vous protégez… et qui fut jadis possédée du démon.
- Agnès ! si c’est d’elle que vous voulez parler, n’est plus ici et a trouvé famille. Quant à moi j’ai charge de protéger ma sœur Ambre avec laquelle je dois bientôt entreprendre un long voyage. Le temps de glaner dans vos écritures certains éléments qui me manque et...
- Désolé ma fille mais, l’accès de cette bibliothèque vous est désormais interdit et nous la protégerons par la force s’il le faut.
- La force ? Quelle force !... Que connaissez-vous de la force ? Et Tyo tournant sur elle-même en un grand arc de cercle libérant par ses yeux son onde répulsive qui renversa et bouscula pêle-mêle moines et lutrins les jetant au sol dans un indescriptible désordre. Puis, fixant intensément l’Abbé qui se protégeait déjà le visage de ses mains, elle lui lança la voix en colère :
- Je partirai quand je le déciderai ! Et sur ses talons elle se dirigea vers la porte de sortie.
Lorsqu’ils entendirent son pas décroître dans le couloir les moines se relevèrent et Frère Benoît s’écria :
- Je ne l’ai jamais vue ainsi ! Quelle colère !
- Vous connaissiez sa puissance et ses pouvoirs mais, dans votre naïveté vous refusez d’en admettre le côté diabolique. Cet être est dangereux pour vous autant que pour moi ! Nous devons nous en débarrasser au plus vite, s’écria le nouvel Abbé du Pic des Ténèbres.
- Oui mais, comment ? Une armée n’en viendra pas à bout.

 

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Un moine s’avança et déclara :
- Elle a un point faible... Sa sœur Ambre, pour qui elle tremble au moindre risque. Si on pouvait l’éloigner Tyo suivrait sans l’ombre d’une hésitation.
- L’éloigner…par quel moyen?
- Mais par le même qui l’ a menée à nous : les Tatares.
- Soyez plus explicite, Frère Julius insista Frère Benoît.
Frère Julius fit le tour du cercle des moines qui s’étaient resserrés autour de lui et, s’expliqua à l’Abbé :
- Vous l’avez remarqué, cette femme qui n’en est pas une, a un visage qui n’est point de notre race. En réalité en copiant celui d’Ambre elle s’est donnée à son insu une identité qui la rattache aux barbares Mongols qui détiennent la puissance au-delà de nos frontières de l’Est. Ambre, elle-même n’est pas venue de son plein gré, elle fut vendue par des marchands Tartares ici même sur la place de Vhéda. Ils reviennent régulièrement, pas les mêmes bien sûr, revendre l’objet de leur rapine et parfois encore de jeunes esclaves qui transitent par notre pays avant d’être envoyées parfois jusque Venise où la peste, qui a déssimé une partie de la population a provoqué une pénurie dans la domesticité.
- Vous voudriez qu’ils la reprenne comme esclave et qu’ils l’emmène en Italie ?
- Ce serait une solution. En Italie ou ailleurs… La beauté d’Ambre est grande et certains sultans seraient ravis de posséder pareil joyau dans leur harem.
- La livrer à des infidèles, ce ne serait pas très charitable, s’écria l’un des moines.
- De par sa race elle fait partie des infidèles et, vous le savez aussi bien que moi, les Tartares ne nous ont jamais apporté que ruines et désolation, rétorqua Frère Julius.
- Le plan me paraît valable s’il est intelligemment préparé, remarqua l’Abbé et se tournant vers Frère Julius lui ordonna : Allez sans tarder vers ces Mongols, Frère Julius et dites leur que nous leur offrons mille dicards s’ils nous débarrassent de la fille sur le champ. Dès que vous serez revenu avec la réponse nous essayerons de convaincre la jeune Ambre de rejoindre ces infidèles au plus vite.
Frère Julius s’inclina en une grande courbette et sortit de la bibliothèque.

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- Des enfants vendus sur le marché de Vhéda comme esclaves ! s’exclama Ambre survoltée.
- Oui j’ai cru bien faire de vous prévenir, ayant entendu dire que ce fut votre cas jadis, susurra Frère Julius.
- Mais je croyais que l’on avait interdit pareille pratique !
- Bien sûr, mais la demande est grande chez les peuples méridionaux et de nombreux esclaves ont transités à notre insu par notre pays.
- Combien en demandent-ils ? s’écria Ambre.

 

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- Très peu j’en suis certain.
- Y avait-il amateurs ?
- Point lors de ma présence mais, ils feront affaire j’en suis sûr.
- Ah ! ça ! murmura Ambre en circulant nerveusement dans la pièce. Tyo n’est pas là et Grégoire s’en est allé à la ville faire ferrer les chevaux et le mien de surcroît ! S’adressant soudain au moine, elle demanda
Pourrais-tu me procurer un cheval ?

-Sans aucun problème.
Ambre se dirigea vers un coffre dont elle souleva le couvercle et après avoir fouillé, en retira une petite bourse plate où sonnaient les pièces d’or.
- Pressons s’écria-t-elle au moine sinon je risque d’arriver trop tard.

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Tyo s’arrêta médusée à l’orée de la forêt qu’elle venait de traverser et, fixait contrariée la barrière épineuse qui lui bloquait l’accès à la Plaine des Ronces. Cela faisait un petit temps qu’elle n’était pas venue en ces lieux et, sur le chemin qu’elle s’était taillé jadis vers le cœur de la Plaine, de grandes lianes piquantes rampaient sur le sol du passage et semblaient attendre le pied de l’imprudent qui aurait eu l’audace de les enjamber. Tyo enclencha le faisceau laser de ses yeux et en balaya le sol. Les lianes aux bourgeons acérés tressautèrent et se transformèrent en une poussière impalpable. Tyo tira son cheval par la bride et s’engagea dans le passage. Lorsqu’elle déboucha dans la clairière intérieure ses bottes et ses chausses étaient éclaboussées de vert et sa tunique maculée par le pulpe des végétaux disloqués. Le cheval qu’elle s’était fait prêter avait fait quelques écarts dans sa progression et hennit de douleur en effleurant les murs épineux de la passe. Tyo s’était bien dit à divers reprises qu’il eût été facile de détruire par le feu ces ronces démesurées et elle avait abandonné son projet consciente que la nature à cet endroit protégeait efficacement son bien le plus précieux : la navette spatiale qui l’avait amenée jadis sur la Terre.
Là, devant elle dans le dégagement, se dressait la carcasse d’un aéronef détruit dont la forme singulière l’avait fait surnommer par la croyance populaire : le Dragon de la Plaine des Ronces. Elle abandonna le cheval, contourna l’épave et fixant la zone plane qui se trouvait à présent devant elle lança mentalement l’ordre de rappel de son aéronef. Le ciel s’emplit aussitôt d’un déchirement et quittant l’invisibilité du temps dans laquelle il avait été placé, le fuseau allongé de son coursier ailé, se matérialisa peu à peu à quelques mètres du sol.
Tyo ordonna la descente et l’engin se posa sur ses trépieds en soulevant la poussière. Il faisait penser à une flèche effilée dont la pointe transparente abritait le poste de pilotage : la partie centrale était constituée d’une large soute, accrochée de part et d’autre sur l’épine dorsale qui liait l’avant aux compartiments moteurs dont les tuyères s’ouvrant en arrière pouvaient cracher le feu à la seconde et emmener l’androïde vers la base spatiale qu’elle avait abandonnée là-haut et où elle n’était jamais retournée. Sur chaque flanc de l’aéronef, trois bras articulés se terminaient par des mains de métal ouvertes dont les doigts creux libéraient la puissance soufflante assurant la correction de la sustentation dont l’efficacité était fournies par de grandes bouches munies de volets orientables situés sous le fuseau : l’une juste derrière la cabine, l’autre un peu en avant du propulseur principal.

 

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La poussière était retombée au sol, Tyo fit un geste et la porte de la coursive latérale située juste derrière le poste de pilotage, bascula sur sa base vers le sol tandis que l’escalier télescopique se dépliait. Tyo s’y engagea et glissa dans la coursive, pénétra dans le poste de pilotage. Elle s’affala sur son siège central devant la courbure du pupitre compliqué et manipula les commandes à effleurements. Sur l’écran de contrôle, les schémas se succédèrent prouvant à Tyo que son coursier de métal lui était resté opérationnel comme au premier jour de son utilisation. Un dernier geste un peu hésitant cette fois : une barre lumineuse jaillit à hauteur de ses yeux.
- Suprêmes Lumières, je vous demande si vous m’entendez de passer au-dessus de nos dissensions de jadis et de témoigner de votre présence. IL n’y eut aucune réaction. Le rayon lumineux ne vibra même pas et malgré ses tentatives répétées, Tyo n’obtint aucune réponse.
Tyo eut soudain l’envie de décoller avec son aéronef et d’aller faire le tour du monastère au sommet du Pic des Ténèbre en savourant la joie d’y semer la panique ! La sagesse l’en retint. C’eut été compliquer les choses et mettre la sécurité d’Ambre en péril. Elle fit quand même faire quelques manœuvres de montée, de descente, de rotation à son aéronef puis, satisfaite de ce résultat, elle mit tous les circuits modulaires au repos, regagna le sol de la Plaine des Ronces et sortit de la coursive.
Alors, sous le soleil brûlant de ce début d’après-midi elle replaça cette perfection technique dans l’invisibilité parallèle du temps. Elle s’en revint lentement vers le cheval qui avait pris du champ, effrayé par le bruit des propulseurs. Elle enfourcha sa monture et après un dernier regard en arrière, elle reprit résolument le chemin de la sortie à travers la barrière d’épines.

Tyo était déçue : elle espérait un signe, un mot de ses géniteurs et… rien ! Pas une modulation, pas un fléchissement lumineux de l’arc de communication. Après tout c’était bien de sa faute, c’était elle qui avait coupé les ponts jadis et désobéit à leurs lois, en se rangeant du côté des hommes auxquels elle s’était efforcée de s’identifier au plu près. Comment savoir d’où venait donc ces engins lumineux dont l’un avait été pulvérisé par la foudre et l’autre avait tenté de s’emparer de sa volonté. Elle regarda le château ou plutôt le monastère dressé en sentinelle sur la masse écrasante du Pic des Ténèbres. Elle se souvint des images qu’elle avait fixées cinq ans plus tôt en cet endroit : c’est ici qu’elle était partie rejoindre l’androïde qui l’avait précédée sur la Terre et qui, avant elle avait refusé d’obéir à ses maîtres. Elle était allée vers lui avec la volonté de le convaincre même s’il le fallait par la force de reprendre le programme qui lui avait été assigné. Et là-haut, le Prince des Lumières – c’était le nom qu’il avait pris - ne s’était pas conduit en despote cruel comme le peuple l’avait défini, mais en ami avisé qui accueillait une petite sœur, un peu embrouillée à qui il avait fait découvrir la réalité des choses. Plus précisément même la chose tout court. Cette chose placée par les Suprêmes Lumières qui rayonnait jusqu’au cerveau des hommes par le biais d’ondes mentales pour leurs faire perdre la raison, et s’entre-tuer mieux encore pour le bénéfice du projet de nettoyage des Suprêmes Lumières.
Lui, il la connaissait cette chose et il vivait en harmonie forcée avec elle mais, lorsqu’elle avait découvert qu’elle n’était qu’une bombe vivante explosant à la première querelle avec l’androïde " Prince des Lumières", elle avait plié le genou devant lui pour s’excuser de n’être qu’une messagère de mort !

 

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Ils n’avaient rien d’humain aucun des deux, si ce n’est leur aspect extérieur, artificiellement copié et pourtant, ils avaient fait couple devant le danger et le cri de désespoir que le Prince des Lumières avait poussé au moment où elle se déchiquetait dans l’explosion de la chose qu’elle avait consciemment provoquée en y sacrifiant s a vie, résonnait encore en elle et était enregistré à jamais dans ses mémoires de sensibilité. Mais où était-il donc ce frère d’infortune fait comme elle de matières composites, de métal, de mémoires, de logiciels dont l’intelligence fabriquée techniquement, s’accordait si parfaitement à la sienne. Elle avait eu l’impression, à diverses reprises en écoutant certains bruits insolites, qu’il rôdait avec sa machine à voyager dans le temps autour des vestiges du château mais, lorsqu’elle se précipitait la nuit dehors sur les remparts, le sifflement du vent seul répondait ironiquement à ses espoir et elle se sentait plus seule que jamais.

Tyo sortit de la masse épineuse et après avoir traversé le bois des pins noirs, s’engagea sur le chemin montant vers le château – monastère en ménageant sa monture famélique, qui décidément ne valait pas son fidèle étalon noir.

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Lorsqu’elle pénétra dans ses appartements Tyo fut surprise d’y trouver Grégoire, l’ancien domestique de l’Homme Noir qui était resté à leur service et si ses cheveux avaient blanchis, l’attention dont il entourait Ambre et son double technique, n’avait en rien fléchi. Il paraissait surpris et angoissé à la fois.
- Ah, Tyo je suis heureux de vous voir. J’ai ramené de la ville les chevaux et certaines choses qu’Ambre m’avait demandées et, je ne la trouve point dans les appartements où elle devait m’attendre. L’une des servantes m’a affirmé l’avoir vue partir sur un cheval d’emprunt. Comme je sais qu’elle écoute volontiers aux portes, j’ai insisté et obtenu une information qui me surprends : Ambre serait partie vers la ville pour y acheter des enfants esclaves que les Mongols ont introduits sur le marché de Vhéda !
- Les Mongols ! s’écria Tyo, tu en est sûr Grégoire ?
- C’est du moins ce qu’il m’a été dit et en preuve sa bourse et ses écus ne sont plus à leur place dit-il en désignant le coffre polychromé.
- Il faut partir au plus tôt Grégoire et retourner à la ville.
- C’est… que les chevaux…viennent à peine de monter, bien sûr sans cavalier, sauf le mien.
- Tu prendras celui d’Ambre et faisons vite !
- Tu crains donc les Mongols ? A ce point ? Toi qui a copié l’image de leur race. Je pense au contraire moi qu’ils vont être séduit par la beauté d’Ambre.
- Ce n’est pas la beauté d’Ambre qui constitue pour elle un danger mais, ce qu’elle… je ne puis en dire davantage Grégoire mais, crois moi elle court le plus grand danger de sa vie. Et entraînant Grégoire sidéré vers la sortie elle plongea vers l’extérieur et dévala les escaliers menant vers l’entrée et les écuries.


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20

Lorsqu’Ambre passa sous la double fortification de l’entrée est de la ville de Vhéda, les gardes et leur officier s’inclinèrent galamment sur leur passage. C’était vrai qu’Ambre était devenue une femme d’une beauté indéfinissable. Etait-ce dans le regard dont on voyait onduler le sable sur les steppes ? Ou sa chevelure dont l’ébène opposait ses reflets au soleil ? Le ton cannelle de sa peau matte se moquait des brûlures de l’astre radieux et les vêtements clairs, rehaussés par la blancheur de la dentelle, la faisait sortir d’un univers imaginaire comme une créature issue d’un inaccessible paradis terrestre.
Elle tourna la tête à gauche et à droite, rendant le salut, tantôt d’un plissement des paupières, tantôt d’une légère inclination ou d’un geste apaisant lorsqu’ils étaient chargés de propos un peu leste. Du poitrail de sa monture elle se fraya un chemin vers la place du marché. Mais dû abandonner son cheval tant la foule était dense et, après l’avoir confié aux domestiques de l’auberge, elle parvint dans la bousculade sur la surface réservée à la vente des animaux domestiques où les Mongols venus de la nuit de l’Est, érigeaient leurs yourtes - tentes en feutre - et vendaient le produit de leur élevage sans se priver d’y joindre parfois un cheptel humain. Deux hommes étaient là, le crâne rasé, la natte pendant au milieu du dos et Ambre les interpella :
- Où sont les enfants, les avez-vous vendus ?Ils ne parurent pas comprendre et quand d’un geste de la main elle leur expliqua la nature de ce qu’elle cherchait, l’un deux se précipita à l’intérieur de la tente et s’en revint avec un troisième qui paraissait être le chef. Il était plus vigoureux que les autres et il rejoignit Ambre qui examinait l’intérieur du chariot surprise de ne rien y trouver.
- Enfants… A l’intérieur, dit-il en désignant la yourte.
Ambre hésita un instant à la vue de la tente poisseuse.
- Eh ! bien, fais les sortir que je les voie en pleine lumière !
- Pas possible… Eux malades.
Ambre, en un éclair revit sa jeunesse, ses souffrances et, son sang ne faisant qu’un tour, bondit vers la tente,
écarta le panneau d’ouverture et pénétra à l’intérieur. A part deux hommes qui lui faisait face, la tente était vide. Ambre poussa un cri et flairant le piège fit un pas en arrière pour se heurter au colosse qui avec quelques mots qu’il connaissait dans sa langue l’avait dupée. Il ouvrit les bras en riant et les referma sur la jeune fille qui eut l’impression qu’elle allait se désarticuler : elle eut beau mordre, griffer, la brute ne lâcha pas sa proie et les deux autres s’en mêlèrent l’un pour enfoncer une boule de tissu dans la bouche de la jeune fille, non sans récolter quelques morsures au passage, l’autre pour lui lier les mains derrière le dos. Soudain l’homme qui enroulait les fines cordelettes autour de ses poignets, poussa un cri … Si celui qui la maintenait fermement écrasée contre sa poitrine ne la lâcha point, les deux autres au contraire semblaient tout excités par la découverte. Elle sentit que l’o lui écartait les doigts de sa main droite et compris qu’ils avaient vu le signe qui y était gravé. Ils appelèrent les autres restés à l’extérieur et à nouveau Ambre dû concéder d’ouvrir la main faute d’avoir les doigts cassés. L’un des Tartares qui devait être le chef lança un ordre et ils parachevèrent leur besogne en entravant définitivement les poignets et chevilles de la jeune fille.

21

Ambre se vit roulée sans ménagement dans un vieux tapis puis, soulevée de terre et portée à l’extérieur. Le bruit de la foule lui parut plus distinct et elle reçu un choc : elle reposait sur une surface dure autour de laquelle les hommes s’affairaient en s’invectivant de cris rauques. Le sol sur le quelle elle reposait lui parut à plusieurs reprises mouvant et elle comprit qu’elle était dans le chariot auquel on attelait les chevaux. Il y eut encore quelques bruits sourds autour d’elle puis, elle se sentit cahotée de droite à gauche. Les Tartares après avoir plié bagages l’emmenait vers une destination inconnue. Le chariot s’arrêta à plusieurs reprises et bientôt Ambre ne perçut plus aucun son hormis le roulement de l’attelage et les vociférations surexcitées des hommes. On était sorti de la ville et les chevaux fouettés forçaient l’allure. Ambre dans un déchirement de peine comprit qu’elle était captive était qu’elle était captive et que sa beauté lui valait d’être emmenée en esclavage vers le harem de quelque maître puissant qui disposerait d’elle selon son bon plaisir. Elle pensa à Tyo. L’angoisse de ne plus la voir l’étreignit au point de lui faire perdre connaissance.


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Tyo avait dévalé le chemin d’accès au Pic des Ténèbres et s’engageait sur la grande voie reliant la ville de Vhéda à la frontière de l’Est. Grégoire qui avait plus de difficulté à maîtriser la monture d’Ambre n’avait pu suivre le train. Mais, qu’importe il savait où Tyo allait et il la rejoindrait sur le marché même.
Dans les logiques de Tyo, une vérité prenait forme : on avait envoyé Ambre vers un danger par une information qu’elle n’avait pu intercepter à temps, à moins qu’il n’y ait là un plan de l’Abbé pour se débarrasser d’Ambre et par voie de conséquence d’elle en même temps. Elle ne prêta pas d’abord attention, absorbée dans son raisonnement aux nuages de poussière qui sur le chemin aride venaient à sa rencontre. Un point noir apparut au centre du nuage et il s’agrandit rapidement pour se définir sous la forme d’une charrette, balayant la route de gauche à droite, derrière quatre chevaux en ligne dont les naseaux écumaient sous l’effort. Une demi-douzaine de cavaliers montés sur des petits chevaux, escortaient l’attelage et, lorsqu’ils passèrent en trombe en effrayant le cheval de Tyo, celle-ci reconnut un groupe de Tartares qui filaient comme s’ils avaient le diable à leur trousse.
- Quelle allure ! Ce n’est pas dans leurs habitudes… de se presser autant… à moins qu’ils aient fait un mauvais coup.
Tyo eut une sensation subite d’une présence dont elle percevait les longueurs mentales comme un cri de détresse.
- Ambre ! Se pourrait il que ?...
Elle arrêta son cheval et lui faisant faire volte face, se lança à la poursuite du chariot effacé par la poussière qu’il soulevait derrière lui. Cette maudite poussière était vraiment dense et, si elle pouvait par ses filtres analytiques en percer l’opacité, son cheval par contre émettait certaines réticences et faillit trébucher à diverses reprises. Grégoire arrivait à l’embranchement des deux voies lorsqu’il du s’écarter pour laisser passer les Tartares et lorsqu’il distingua Tyo qui leur faisait suite dans le brouillard jaunâtre il éperonna son cheval et suivit l’androïde. Tout à coup la poussière s’effaça et Tyo distingua chariot et cavaliers qui, ayant quitté la route dévalaient une pente herbeuse arasée par le passage des chevaux.
- Ils se dirigent vers le gué en contrebas. Ils empruntent le passage menant à la passe de l’Aiguille rouge murmura-t-elle.
Mais l’un des Tartares s’était retourné et avait aperçu l’androïde. Il se saisit d’un petit arc accroché à sa selle,y posa une flèche et dans une position acrobatique, en équilibre sur son cheval, la décocha lorsque l’androïde fut à portée. La flèche alla frapper Tyo en pleine poitrine et s’arrêta contre le coffrage qui blindait toute sa technique intérieure.
Il n’eut pas le temps de poser une seconde flèche sur la corde, car le rayon de feu jaillit des yeux de l’androïde, le frappa au bras et hurlant de douleur sous la brûlure vive, il vida les étriers et roula dans la poussière. Le chariot s’était engagé avec prudence dans le gué et trois des cavaliers avaient fait volte face. Les arcs se tendirent mais le fil incandescent du regard de Tyo les devança en balayant de gauche à droite le trio. Trois hurlements de douleur déchirèrent le calme champêtre et les cavaliers sautèrent de leur monture pour chercher dans l’eau de la rivière l’apaisement de leurs brûlures. Le chariot s’engageait sur la pente de la rive opposée lorsque son train arrière entièrement disloqué s’effondra. Tyo ignorant ses adversaires qui barbotaient dans l’eau, arriva sur le chariot au moment où le conducteur, un colosse, levait sa lance. Tyo l’évita, accrocha l’homme par la jambe et équilibrant son fardeau sur ses bras, elle le projeta dans la direction opposée avec une force insoupçonnée chez un être humain, et encore plus chez une femme ! Les deux autres cavaliers se concertèrent et piquant leurs montures disparurent sous la futaie de la forêt toute proche. Grégoire avait rejoint le champ de bataille et écarté d’un coup de son épée le Tatare qui tentait de lui voler son cheval. Deux autres grimaçant de douleur étaient sortis de l’eau et s’encouraient vers leur monture éparpillées dans la nature.

22

Tyo coupa l’étoffe couvrant le chariot d’un coup de son émetteur à infrasons et plongeant le regard, découvrit le tapis qui ondulait en gémissant. D’un bond elle sauta à l’intérieur du chariot et remit Ambre à la lumière du jour.
Ambre fulminait ! Ces rustres avaient osé la toucher, la rouler dans un tapis souillé mais, Tyo après avoir coupé ses liens, dédaignant les vêtements déchirés et les lamentations de sa sœur d’infortune, lui posa sèchement la question :
- Ta main !… Ont-ils vu le signe ?
- Non seulement ils l’ont vu, mais ils m’ont presque cassés les doigts pour le contempler à leur guise, rugit Ambre !
- Cela devait arriver murmura Tyo. Mais qu’allais-tu donc faire là sur le marché ?
- Je croyais y trouver des enfants vendus comme moi en esclave et les racheter pour les libérer… Rappelle- toi on l’a déjà fait une fois !
- Oui, mais nous avions envoyé Grégoire ? il a traité l’affaire à notre place. Et se faisant sévère elle ajouta : Tu es de leur race Ambre et ta beauté ne peut qu’éveiller leur convoitise. Ces marchands sont sans scrupules, ce n’est pas ce que tu es qui leur importe, mais l’argent qu’ils pourront tirer de toi. Qui t’a révélé leur présence et qui t’a parlé d’enfants ?
- C’est cette fouine de Frère Julius qui spontanément est venu m’en avertir.
- Tu es tombée dans un piège ! En réalité c’est à moi que les moines en voulaient. Ils espéraient que pour te délivrer de l’esclavage je suive tes ravisseurs en vidant les lieux de ma présence au château du Pic des Ténèbres.
- Mais c’est odieux ! Ils m’auraient vendue et sacrifiée même uniquement parce qu’ils ne savent ni t’atteindre, ni te contraindre.
Tyo tout en conversant jetait furtivement des regards aux alentours mais, aucun des Mongols n’avaient fait volte face, tous à l’exception d’un avaient disparus dans la nature. L’homme s’était blessé dans sa chute et Grégoire le maintenait prisonnier à la pointe de son épée. Tyo sauta de la charrette et s’approcha de l’homme qui se mit à trembler. Elle lança à Grégoire :
- Je connais suffisamment de leur langage pour savoir s’ils ont été avertis de l’arrivée d’Ambre et payés par les moines, je l’ai déjà questionné mentalement grogna Tyo
- Comment, vous connaissez-vous sa langue ? s’écria Grégoire.
- J’ai puisé l’essentiel, il y a cinq ans dans la mémoire d’une vieille tartare et j’ai tout complété par certains écrits trouvés dans la bibliothèque des moines.
Grégoire s’en était allé, aider Ambre à descendre du chariot et Tyo se trouvait seule en face de l’homme qui dans sa chute s’était démis l’épaule.
- Je peux te réduire en cendre si je le veux ! C’est toi qui m’a décoché cette flèche, dit-elle en montrant son pourpoint troué. Et cependant je ne te veux aucun mal, la preuve : - elle présenta la paume de sa main gauche et l’autre vit le signe - .
L’homme se prosterna devant Tyo et balbutia :
- Le signe de Kadha ! Fais de moi ce que tu voudras
- C’est étrange que tu te prosternes à la vue de ce signe, alors que tu as violenté il y a une heure à peine celle qui le portait !
- C’est elle qui mordait et qui griffait… Nous la ramenions à notre camp… Nous ne lui avons fait aucun mal !
- Que sais-tu de ce signe ? demanda Tyo.
- Moi rien, mais mon chef a dit que celle qui le portait était une princesse.

 

23

Grégoire avait rejoint Tyo :
- Qu’allez-vous faire de lui ?
- Rien ! Donne lui un des chevaux de l’attelage du chariot et qu’il aille au Diable !
- Au Diable! Il ira au pire car il va rejoindre les siens et ramener probablement toute une armée pour se venger.
- Non point pour se venger. Et nous n’attendrons pas l’armée Tartare, nous irons devant elle !
- Vous êtes folle ! s’écria Grégoire. Que voulez-vous aller faire chez les Tartares ?
- Vous le saurez bientôt Grégoire, le secret que je garde me pèse depuis trop longtemps… et nous allons retourner là-haut et nous en entretenir avec les moines. Et s’adressant au cavalier Mongol elle lui notifia :
- Tes origines me paraissent mongoles comme les nôtres. Retourne près de ton seigneur Khan et, dis lui que dans un jour où deux nous nous mettrons en marche par la passe de l’Aiguille Rouge, j’aurai besoin de sa protection et, je viens en amie. Dis lui également que je possède la puissance du feu et que je puis l’utiliser pour lui ou contre lui...
Le Mongol tâta sa brûlure douloureuse qui brûlait sa poitrine et acquiesça de la tête. Puis, se relevant péniblement il rejoignit Grégoire qui l’aida à monter sur le cheval, soutiré à l’attelage. L’homme se retourna sur sa selle et levant sa main droite en signe de paix, Tyo lui rendit son salut et le cavalier pressant du talon le flanc de la monture partit au galop et disparut derrière l’écran de la forêt.

Une fois de plus, Ambre fulminait.
- Ils m’ont rouée de coup et enfermée dans un tapis et, dès que tu tiens l’un deux à ta merci, tu lui fournis un cheval pour partir.
- Tu es bien de leur race, Ambre. Il te faut un chef pour réfléchir à ta place et modérer tes agissements… Tu auras bientôt l’occasion de faire ta loi, puisse-t-elle être dictée par la modération. Et planta là Ambre décontenancée, elle s’adressa à Grégoire : Donne- lui un autre cheval et remontons au plus vite là-haut où j’ai des comptes à régler avec sa grandeur l’Abbé.

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Une demi-heure plus tard, Tyo guidait sa monture sur les premiers escarpements du Pic des Ténèbres. A ses côtés Ambre méprisante et hautaine ruminait quelques propos déplaisants sans toutefois oser les formuler. Grégoire fermait la marche en traînant derrière son cheval les deux bêtes restées libres de l’attelage. Le vieux serviteur fixait tantôt Ambre, tantôt Tyo en se disant que l’orage allait éclater au pied du Pic des Ténèbres et il priait le destin d’intervenir pour l’apaiser. Ce fut Tyo à sa surprise qui libéra la foudre.
- Qu’as-tu donc à tirer la tête ainsi, Princesse ? Dit-elle en s’inclinant profondément mais avec ironie.
Ambre arrêta net son cheval et faillit même en tomber :
- Qu’est-ce que j’ai ?... J’ai envie d’être libre, Tyo… Cela fait plusieurs années déjà que tu me retiens là-haut au Pic des Ténèbres sans raison, si ce n’est pour protéger ma vie, ma vertu et ma foi ! Ma vie, elle est à moi ! Ma vertu, on me l’a ignoblement volée et ma foi ne s’accorde pas avec la solitude dans laquelle tu me confines. Tu m’as volé mon visage jadis mais, regarde, regarde donc, dit-elle en tendant son minois en avant, j’ai grandi, je suis une femme à présent et toi tu n’es restée qu’une jeune fille. Je suis ton aînée Tyo et je n’ai pas peur de tes foudres. A présent, tu vas m’obéir ou partir !
Tyo la considéra avec tristesse et fit cependant un effort pour dominer ses craintes et ses sentiments.

 

24

- Je comprends tes reproches, ta colère, ta révolte mais rappelle-toi une chose, Ambre, nous nous devons l’une à l’autre la vie ! Nous n’avons plus aucune dette l’une envers l’autre et nos chemins pourraient se séparer, si je n’étais détentrice d’un secret qui m’oblige à ton insu à rester à ton service. En voulant préserver ta vie je vais bientôt à nouveau risquer la mienne. Mais je ne l’accepte pas par désir de te dominer mais, par faiblesse de par l’attachement que je te porte. Je n’ai pas vieilli, bien sûr, puisque je ne suis pas un être biologique. Et je ne suis plus ta sœur jumelle. Pour que cela soit à nouveau, ils nous suffiraient de retourner là-haut, dans la base spatiale et que je rectifie mon physique en refaisant une copie du tien.
- Ah ça jamais ! s’écria Ambre … Tu ne m’ensorcelleras pas à nouveau !
- Je n’ai pas l’intention de remonter là-haut et cette différence qui nous sépare ne peut-être que bénéfique à la suite des événements. Il n’est plus question, désormais que l’on nous prenne l’une pour l’autre et puis, ajouta ironiquement Tyo, j’aurai ma vengeance à tes propos blessants : je vais rester jeune, toi tu vieilliras trop vite, hélas ! Et je serais pour toi comme un miroir du passé te révélant ce que tu étais jadis : belle, tendre et attachante. Et poussant sa monture Tyo relança l’ascension en concluant sèchement : Au plus vite nous serons là-haut, au plus tôt tu connaîtras la vérité et alors tu pourras te permettre de me juger. Tyo ferma ses mémoires, Ambre étouffa ses répliques et Grégoire soupira avec résignation. Là-haut le Pic des Ténèbres savourait sa vengeance de voir celles qui l’avaient vaincu, dissocier leurs pensées en une séparation irrémédiable.

 

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